Elle vivait dans un pays où Noël ne serait jamais blanc. Pourtant ses yeux se mettaient toujours
à s'allumer vers cette période de l'année. Des yeux d'un bleu si pur que le ciel, pourtant
tellement gâté par le soleil, avait peine à soutenir la comparaison. Mais cette année les étoiles
dansaient dans ses yeux, reflets des larmes qui voulaient y naître et s'épanouir sur ses joues si
douces.
On ne peut regretter ce qu'on a pas connu aimait-elle penser mais cette année les choses étaient
différentes. Elle avait enfin découvert ce monde qui lui tendait les bras. Un monde d'une
richesse et d'une beauté insoupçonnée jusqu'alors par ses yeux encore vierges. Pendant des mois
elle l'avait sillonné par air, terre ou mer, se nourrissant littéralement d'images, dévorant les
paysages, avalant les distances. Mais tout avait pris fin un petit matin, quand elle franchit le
portail de son chez-soi; paradis pour d'autres, cage dorée pour elle.
Tout était fait pour la rendre heureuse pourtant, tout sauf ce qui était le plus cher à ses yeux.
La liberté... on avait ôté ses ailes ... plus jamais elle ne pourrait s'envoler. Elle qui avait
tant espéré se retrouvait maintenant derrière des murs de souffrance, retranchée dans un monde
d'indifférence.
L'air était doux ce soir, une de ses belles soirée où le soleil refuse de se laisser avaler par
les ténèbres de la nuit. Une légère brise venait agiter les rideaux de la pièce où elle se
trouvait. Devant elle une gigantesque cheminée, sans foyer pour l'éclairer ... "A quoi bon"
pensa-t-elle rapidement, "Même le soir de Noël ce serait déplacé."
Allongée sur un matelas recouvert de soie, le sillon de ses larmes l'entraîna vers le royaume
des songes. Elle se laissa faire, ne voulant lutter avec les démons de la nuit, alliés fragiles
qui l'aidaient à passer le temps sans trop de douleurs. "Puisse ne jamais me réveiller" murmura-
t-elle mais sa voix fut si faible qu'elle n'entendit même pas la fin de sa phrase, reposant
maintenant dans un sommeil ouaté.
La ouate se transforma en flocons, d'abord épais, épars et gros; ensuite de plus en plus fin et
régulier. La soie s'était transformée en tapis blanc et pourtant son corps nu n'avait pas froid.
Il émanait de cette neige une chaleur douce, subtile. Ses yeux ne voyaient l'horizon, voilé dans
un halo blanc. Elle ne distinguait aucun objet, personne non plus et pourtant elle se sentait
observée. Mais ses regards répétés tout autour d'elle ne purent lui fournir aucune certitude.
Elle ne l'avait pas entendu s'approcher lorsqu'il toucha sa joue légèrement, caresse déguisée
en guise de bonjour. Ainsi donc son intuition ne l'avait pas trompée. Elle tourna doucement le
visage et fut surprise par l'apparence de celui qui se trouvait à ses côtés. Il ne ressemblait
en rien au père Noël classique, vieillard souriant sous sa barbe blanchie par l'accumulation des
ans. Son visage au contraire n'exprimait pas d'âge mais elle l'estimait jeune, ses traits étaient
réguliers, ses yeux d'une pâleur extrême leur conférait un éclat peu commun, le sourire que
dessinaient ses lèvres se voulait rassurant mais il y avait quand même quelque chose qui
l'intriguait. Il ne lui parlait pas, se contentant de la fixer dans les yeux, il restait accroupi
à ses côtés sans un geste et aucun mouvement ne venait déranger cette chorégraphie de l'immobile
si ce n'est la neige qui continuait à tomber.
Une vague de chaleur parcourut son corps tout entier quand il posa de nouveau sa main sur elle.
Elle avait compris maintenant la forme curieuse de ce sourire, mélange de bonheur et aussi de
coquinerie. Elle croisa les bras sur sa poitrine, voulant protéger son intimité mais elle savait
très bien qu'elle voulait sa douceur, qu'elle le laisserait découvrir son corps. De fait, par de
petits gestes, il devint de plus en plus audacieux. Une main, d'abord posée sur son épaule,
allait et venait le long de son bras, déversant un courant de douceur en elle.
Cette même main caressa ensuite le cou, la nuque, la joue, le menton; semblant ne vouloir
oublier aucun endroit de ce corps qu'elle tentait de découvrir dans son entier. Une main qui
descendait le long de son dos, jusqu'au bas des reins, la faisant frémir de plaisir lors de
chaque passage. Jamais encore elle n'avait connu quelqu'un sachant la faire vibrer aussi
intensément, prolongeant chaque moment de bonheur le plus longtemps possible.
Elle sentait le désir monter en elle, le suppliant en silence de continuer, de ne pas arrêter
les mouvements de sa main sur son corps. Mais elle savait bien que même sans échanger une seule
parole qu'il devinait ce qu'elle demandait. Il était venu poser un doigt sur ses lèvres; jouant
à en redessiner le contour. Chaque fois qu'elle voulait y déposer un baiser il se dérobait mais
revenait à l'endroit qu'il venait de quitter quelques instants plus tard. Un accord tacite entre
eux le laissait diriger les jeux, elle se contentant de jouer la victime consentante.
Lorsque sa main se posa sur son ventre chaud, elle plongea dans un océan de plaisir. Elle nageait
dans le bonheur et savourait chaque instant comme quelqu'un qui en aurait été trop longtemps
privé . Elle voulut s'allonger pour offrir son corps tout entier. Mais le halo blanc commença à
se foncer tandis qu'un bruit de plus en plus fort raisonnait dans ses oreilles. Elle voulu le
chasser mais il était en elle et ne cessait de croître. L'image devint floue devant elle avant de
s'éteindre. Elle ne sentait plus non plus cette main qui était sur elle à peine quelques instants
auparavant.
Elle émergea très difficilement de son sommeil alors que le cadran de l'horloge sonnait les
douze coups de minuit et que le téléphone continuait de tinter dans toute la pièce. Elle tendit
la main pour saisir le combiné, le porta à ses oreilles et entendit juste ces deux mots d'une
voie jamais entendue et pourtant si familière lui souhaiter un :
"Joyeux Noël"
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